01 mars 2019 Ariana Mozafari
Marie Sasin
Clara Tran
Lina Kortobi
Anouk Helft

Musée et accessibilité à Paris, où en est-on ?

Paris, métropole artistique et culturelle, compte des musées dont certains sont les plus grands du monde. La plupart ont suivi les directives imposées en 2005, selon lesquelles tous les établissements recevant du public devraient être en mesure d’accueillir tout le monde, personnes en situation de handicap compris. Où en sommes-nous aujourd’hui ?


Cinq des 106 musées parisiens de notre base de données sont actuellement fermés pour rendre leurs lieux plus accessibles aux personnes handicapées. C’est le cas du musée de la Marine, qui a vu sa fréquentation baisser à cause de sa non-conformité aux normes d’accessibilité aux personnes en situation de handicap (le bâtiment n’avait par ailleurs jamais été rénové depuis son ouverture en 1943).

L'accessibilité pour tous aux musées est aujourd’hui une obligation légale. Stéphanie Xeuxet, directrice générale de l’association Action Handicap France (AHF) s’en félicite : “Ça fait 25 ans que je suis dans le handicap. Je sens que ca bouge, que ça avance petit a petit.”

Aujourd’hui, près de 80% des musées parisiens ont des rampes, des ascenseurs et des places de stationnement pour les personnes à mobilité réduite. Pourtant, les autres types de handicap (visuel, auditif et mental) sont moins pris en compte. Seule la moitié (47,2%) des musées à Paris sont accessibles à ces quatre types des handicaps.


Pour les visiteurs malvoyants ou malentendants, les musées mettent en place des dispositifs spécifiques ou des visites adaptées à leur handicap. Le Quai Branly a, par exemple, mis à disposition des loupes, des jumelles et des lampes torche à l’entrée pour les visiteurs malvoyants. Place des Vosges, dans le Marais, la maison Victor Hugo accueille régulièrement des personnes malentendantes. Une partie du personnel est formée en langue de signes (LSF). Et des boucles magnétiques permettent à ce public de suivre les expositions.

Le frein est aussi parfois culturel, notamment pour le handicap mental. “Entre le handicap mental et psychique, il existe souvent un amalgame”, explique Stéphanie Xeuxet de l’AHF, organisme de formation qui sensibilise le personnel des musées à Paris à tous les types de handicap. Durant ses stages, elle constate une méconnaissance de cette forme de handicap. “On ne sait pas ce qu’est le handicap mental. Ça fait peur”, confie-t-elle.

De plus, les dispositifs prévus pour les déficiences mentales ne sont parfois qu’une simple reconduction de ceux mis en place pour les enfants, regrette Cindy Lebat, chercheuse spécialisée dans l’accessibilité. Preuve que le chemin est encore long.

Lors de nos nombreux appels aux standards des musées répertoriés dans notre base de données, nous avons fait le même constat : handicaps sensoriel (auditif, visuel) et mental étaient largement mal compris, parfois incompris de nos auditeurs. Un exemple de conversation rapportée ici : “- Disposez-vous de parcours spécifiques pour personnes malvoyantes ? Elles peuvent venir, mais accompagnées. Non, mais avez-vous à disposition des panneaux descriptifs en brail par exemple, ou des guides formés pour accompagner ce type de public. Pas vraiment non… et puis quel intérêt ? Il y a des choses à voir au musée.” L’handicap mental était même parfois confondu avec une forme de “maladie mentale”. Une personne en charge d’un petit musée a rétorqué, après que la question de l’accessibilité aux personnes atteintes de handicap mental lui ait été posée : “Par contre ce n’est pas un parc d’attraction ici, il faut disposer d’un certain niveau de savoir pour comprendre ce qui est dit.” Il est à toutefois noter que ce type de réactions n’étaient pas majoritaires.

"Le principal frein, ce n'est pas budget mais l'humain"

Auteure d’une thèse remarquée sur l'accueil des personnes en situation de handicap sensoriel dans les musées en 2018, la chercheuse Cindy Lebat en est convaincue : “Le principal frein, ce n’est pas le budget mais l’humain”. “La loi de 2005 a impulsé beaucoup de choses mais la volonté individuelle des musées reste très centrale”, ajoute-t-elle. Pendant quatre ans, dans le cadre de son travail, Cindy Lebat a observé une vraie “frustration” de la part de certains médiateurs “bloqués par leur direction”, rétives à l’ouverture de leur musée à un public plus large.

A Paris, des organismes de formation, comme l’Action Handicap France (AHF) sensibilisent aujourd'hui le personnel des musées à tous les types de handicap. “Ce sont des formations très pratiques, avec des outils permettant de faciliter la rencontre avec les personnes en situation de handicap”, explique Stéphanie Xeuxet, directrice générale de l’AHF. Pour le handicap visuel, par exemple, une personne malvoyante intervient auprès des stagiaires : “elle va leur bander les yeux, leur donner des astuces. Beaucoup ignorent comment guider une personne aveugle”, explique-t-elle. Or, ”si une personne est mal reçue c’est très difficile de la faire revenir”.

Un homme aveugle au musée du Louvre à Paris, le 18 février 2008 - STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

“Dans la grande majorité, les établissements ne facilitent pas vraiment la venue des handicapés”

INTERVIEW - Sylvie Buchinger est atteinte de fibromyalgie. Malgré une carte d’invalidité, cette femme de 60 ans déplore une situation encore compliquée pour les personnes en situation de handicap, en particulier lors de visites guidées.

Pensez-vous qu’il est facile, à ce jour, pour une personne en situation de handicap de visiter un musée ?

Aujourd’hui, il me semble qu’il reste compliqué pour une personne en situation de handicap d’aller au musée. Personnellement, je suis atteinte d’une fibromyalgie, une maladie chronique qui se caractérise par des douleurs diffuses dans tout le corps. Pourtant, bien que je sois diagnostiquée depuis dix ans et que je dispose d’une carte d’invalidité civile, il m’arrive souvent de devoir faire la queue à l’entrée d’un musée parce qu’il n’y a pas de dispositif relatif aux personnes en situation de handicap.

Certains documents de la ville de Paris et études semblent pourtant indiquer qu’un travail sur l’accessibilité des musées a été réalisé depuis les années 1990. Vous ne le ressentez pas en réalité ?

Certains grands musées ont amélioré leur accessibilité, c’est vrai. Toutefois, j’ai l’impression que dans la grande majorité, les établissements ne facilitent pas vraiment la venue de personnes handicapées. Oui, ils ont un ascenseur et une rampe… Mais cela ne suffit pas toujours ! En général, même s’ils se targuent d’être équipés, une partie de l’exposition reste inaccessible si on ne peut pas grimper des marches d’escaliers. Sans parler des musées où il n’y a aucun dispositif en place, qui sont encore nombreux si vous voulez mon avis !

Avez-vous l’habitude de vérifier l’accessibilité d’un musée avant de vous y rendre ?

Oui, en général j’essaie de connaître la structure des bâtiments. Par exemple, je sais que je peux tout à fait aller à Beaubourg étant donné qu’il y a beaucoup d’escalators et d’ascenseurs. De la même façon, lorsque j’arrive dans un musée, j’essaie de vérifier auprès de l’accueil qu’il y a des employés dont le travail est d’aider les personnes en situation d’handicap au cours de l’exposition. S’il n’y a pas de dispositif pouvant m’aider, je ne suis pas sûre de payer l’entrée de l’exposition.

Pensez-vous que la question de l’accessibilité des musées va aller en s’améliorant dans les années à venir ?

Personnellement, j’espère forcément que les dispositifs des établissements culturels vont devenir plus pratiques pour les personnes en situation de handicap. Ce que j’aimerais surtout, c’est que tous les musées comprennent la nécessité de mettre en place des queues réservées et du personnel spécialisé. Quand bien même l’accès à proprement parler est parfois possible et faisable, les visites en elles-mêmes ne sont encore que peu accompagnées lorsqu’il en vient aux visiteurs en situation de handicap.

Ce que dit la loi de 2005

Les musées étant des établissements recevant du public (ERP), ils doivent être accessibles à tous. C’est ce que dit la loi du 11 février 2005, surnommée la “loi accessibilité” et ce pour tous les types de handicaps. L’article 41 de cette loi précise que les ERP existants doivent “être tels que toute personne handicapée puisse y accéder, y circuler et y recevoir les informations qui y sont diffusées, dans les parties ouvertes au public. L'information destinée au public doit être diffusée par des moyens adaptés aux différents handicaps”.

Ces établissements ne doivent donc pas seulement être accessibles au sens strict du terme, c’est-à-dire permettre aux personnes en situation de handicap d’y venir et d’y circuler mais les équipements doivent être adaptés aux différents types de handicap. Par exemple, cela signifie que les personnes malvoyantes ou non-voyantes doivent pouvoir avoir accès à des informations en braille.

Un agenda, l’Ad’Ap, a été mis place à destination des propriétaires d’ERP par une ordonnance, le 26 septembre 2014 : tous les propriétaires ou exploitants d’ERP doivent se conformer aux obligations d’accessibilité au 1er janvier 2015.

Avoir un personnel formé

La loi du 5 août 2015 ratifiant l'ordonnance de 2014 dispose que dans les ERP ayant une capacité d’accueil supérieure à 200 personnes, “l'employeur met en œuvre une formation à l'accueil et à l'accompagnement des personnes handicapées à destination des professionnels en contact avec les usagers et les clients”.

Proposer des mesures concrètes

Au delà de l’appareil législatif, le ministère de la Culture s’est emparé de la question trois ans après la loi de 2005. En 2008, il créé la RECA, la “Réunion des établissements culturels pour l’accessibilité”, dans le but de “proposer des mesures concrètes pour améliorer l’accueil des personnes handicapées dans les établissements culturels”. Cette RECA compte désormais une trentaine d’établissements.

Une zone aménagée à la cité des sciences et de l'industrie à Paris / ERIC FEFERBERG / AFP

Que dit la recherche ?

En 2018, à peine 18% des musées français avaient reçu le label “Tourisme et Handicap”. Un pourcentage faible, surtout lorsque l’on considère le fait que depuis les années 1990, la thématique de l’accessibilité est au coeur du débat public et politique.

A l’origine de cette proportion limitée, selon certains experts du monde de l’art : les politiques culturelles des années 2000, généralement concentrées sur les grands musées nationaux, laissant ainsi pour compte les plus petits musées.

De plus, certains musées avancent que la fragilité des oeuvres exposées ne permet pas des visites adaptées aux personnes en situation de handicap visuel ou auditif. Selon les conservateurs des établissements en question, il existe des objets patrimoniaux, tels que les tapisseries, les photographies ou encore les documents graphiques, qui seraient extrêmement sensibles à la lumière. Cela rendrait donc impossible la venue des malvoyants, pour qui un niveau bas de luminosité est très inconfortable.

Le manque de moyens financiers constitue également un frein à l’accessibilité des musées à l’échelle nationale. Bien qu’un Fonds interministériel pour l’accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments anciens appartenant à l’Etat (FIAH) ait été créé en 1994, il est inactif depuis 2009, faute de dotations financières. En 2018, seuls 21 % des musées déclaraient recevoir des subventions ou apports financiers extérieurs pour la mise en accessibilité de leurs infrastructures ou de leur offre de médiation.

Ainsi, quand les musées veulent améliorer les installations dédiées aux personnes en situation de handicap, ils sont contraints de puiser dans leurs ressources personnelles. Or, comme toute organisation à but non lucratif, les revenus autonomes ne permettent pas toujours de couvrir ce genre de coûts.

Enfin, le manque de formation du personnel, notamment en matière de communication, ne permet pas toujours aux publics handicapés de se sentir pris en compte et bienvenus. En effet, une étude réalisée en 2018 révélait que seuls 37 % des musées interrogés ont un personnel formé à l’accueil des publics handicapés.

Le label “Tourisme et handicap” : comment ça marche ?

Une partie des musées parisiens bénéficient de la marque d’Etat “Tourisme et handicap”. D’après le règlement d’usage, ce label “Tourisme et handicap”, “poursuit deux objectifs : apporter une information fiable et objective sur l’accessibilité des sites et des équipements touristiques et développer une offre touristique adaptée aux personnes handicapées”. Plus de 5.500 établissements en France détiennent cette marque : hôtels, gîtes ou musées.

Pour obtenir ce label, les musées doivent en faire la demande tout d’abord, la démarche est volontaire, et répondre à un cahier des charges puisqu’ils sont considérées comme “gestionnaires de sites touristiques”. Une binôme d’évaluateurs, formés par l’association Tourisme et Handicaps est chargée de se rendre dans les différents lieux, tous les cinq ans, puis une commission territoriale attribue le label.

La marque “Tourisme et handicap” prend en compte quatre déficiences : handicap moteur, auditif, visuel et mental. Chacune de ces quatre déficiences possède son propre pictogramme. Le label peut être “accordée pour deux, trois ou quatre familles de handicap”, précise le site de l’association.


Quels sont les musées parisiens labellisés ? Ils sont au nombre de 15 dans la capitale : le Louvre, Orsay, le Quai Branly, le musée Rodin, le musée en Herbe, la galerie des Enfants au muséum d’Histoire naturelle, le musée Grévin, le musée Antoine Bourdelle, le Jeu de paume, le musée d’Art et d’histoire du judaïsme, le Centre Pompidou, la cité des sciences et de l’industrie, le musée d’histoire de l’immigration, l’atelier Brancusi et la maison de Victor Hugo.

Méthodologie

Ce travail a été réalisé à partir d’une liste de 106 musées à Paris, publics ou privés, en compilant plusieurs listes préexistantes (dont celle de la mairie de Paris et celle de L’officiel des spectacles), actuellement ouverts, ou fermés et en cours de rénovation (afin de rendre leur établissement plus accessible). Quatre types de déficiences ont été examinées pour chaque musée : handicap moteur, visuel, auditif et mental. Pour cela, nous avons appelé les établissements. Les musées actuellement fermés pour une durée indéterminée ont été retirés de notre base de données. Il en est de même pour les établissements qui ne disposaient pas d’informations précises en ligne, et dont on n’a pas obtenu de réponse.

Pour certains établissements, les données ont été complétées grâce au site accessible.net, interface participative en partenariat avec la région Ile-de-France.